Aller le contenu

La trahison !

Je suis arrivé dans ce pays à la fin de l’été 1985. Il faisait beau, les filles étaient jolies et légères dans leurs robes. Moi, je volais dans le bonheur. Émerveillé comme un enfant  dans une chocolaterie. Pour le gamin adulte que j’étais, la France c’était l’extase et l’éblouissement des sens.

Je me disais, ce pays est le tien !

Très vite, je me suis intéressé à la politique. Je regardais beaucoup les émissions de débat à la télévision française. Une découverte pour moi qui venais d’un pays qui vivait encore dans les années de plomb.

Déjà, ils parlaient déjà de l’extrême droite et du Front National. Des élections avaient été organisées et Le Pen avait récolté10% des suffrages. C’était le choc. Je voyais l’inquiétude sur les visages des gens que je côtoyais. Le pays était stupéfait. Quarante ans après la libération, un dixième des électeurs votaient pour un parti fondé par des anciens SS, ceux qui avaient torturé et assassiné des résistants français. Ceux qui avaient collaboré avec les nazis pour déporter 76 000 juifs dans les camps de la mort étaient vus comme des pestiférés. Ceux qui votaient pour eux n’en étaient pas forcément fiers. Ils le cachaient comme un secret de famille, comme une honte !

L’idée qu’une personne sur dix, autour de nous, effrayait mes amis. Pas moi ! Je les rassurais en disant qu’il y en a neuf sur dix qui s’y opposent et que c’est très rassurant.

J’ai aimé ce pays de tout ce que j’ai pu. Sa culture est devenue mienne. Sa gastronomie est devenue mienne. Son vin, ses fromages, ses chansons, ses livres, ses blagues, ses platanes, sa Loire, sa Bretagne, ses poètes, et son Chant des Partisans sont devenus miens.

Petit à petit, je me suis éloigné de ma culture maternelle jusqu’à perdre cet arabe littéraire que je maitrisais tant. Quand je rentrais dans mon pays d’origine, j’avais le sentiment d’en être l’étranger qui cherche à articuler difficilement de simples phrases en darija. Cette terre et son peuple me sont devenus lointains. J’ai remplacé les images de mon passé marocain par des cartes postales pour touristes pressés.

Plus tard, naitront mes enfants. Il fallait que je trouve des prénoms qui n’évoquent pas trop le bled. Sami pour les garçons et Sarah pour les filles étaient déjà pris, mais on en avait d’autres. On ne sait jamais. Depuis 1984, le score du parti des anciens nazis ne faisait qu’accroitre élection après élection. Il faut rester prudent. Ce pays n’est peut-être pas le mien !

Pendant mes premières années en France, je passais des heures et des journées entières à dévorer des livres sur la seconde guerre mondiale et l’histoire contemporaine. Je regardais des archives en noir et blanc à la médiathèque de Nantes. Je ne me suis jamais remis du récit de la Shoah et avec toujours cette question : Comment des gens qui ont toujours vécu en France, ont pu être abandonnés à la barbarie des nazis par leurs compatriotes, simplement parce que leur religion était différente ?

Le souvenir de Carpentras restera gravé dans ma mémoire. Il a réveillé l’altérité enfouie en moi. Même les morts, ils ne les laissent pas tranquilles. Étranger, tu es. Tu le resteras. Ce pays est malade de ses démons. Démons du passé, démons du présent, démons toujours vivants !

Ce pays ne sera peut-être jamais le tien.

Mes enfants ont grandi. Ils ne parlent quasiment pas un mot d’arabe.  Pendant ce temps, le maghrébin est devenu le musulman. Momo, petit lascar des quartiers, voleur de mobylettes, presque sympathique, est devenu Mohammed. Il porte une barbe et va à la mosquée. Il ne vole plus de mobylette, mais travaille. Il est informaticien, professeur ou ingénieur, mais il fait peur. Et puis, les filles se mettent à porter le voile. Il y en a eu une, deux puis trois. Quelques élèves font trembler la République. Vite, une loi. Mais comme elles sont de plus en plus nombreuses, il faut encore des lois et des lois à n’en plus finir !

La France n’avait jamais imaginé que les travailleurs qu’on avait été cherché dans leurs villages pour participer à l’édification des Trente Glorieuses, pouvaient un jour avoir des enfants qui embrasseront la religion de leurs parents. Et plus, ils devenaient visibles partout, plus la France avait peur.

Et depuis, ils parlent de nous, matin, midi et soir. Les potes ne sont plus potes et la France est de plus en plus malade de son Islam et de ses musulmans. Il n’y a plus de débats dans la télévision française.

Les précautions de langage disparaissent. Il n’a y a plus de différence entre terroriste-islamiste-musulman ou de culture musulmane.

L’ère du soupçon s’est installée. Nous sommes tous des suspects. Nous sommes éternellement sommés de montrer fidélité à la France. Vos collègues du bureau te demandent ce que tu penses du 11 septembre, des talibans, de Daesh, du voile, du Hamas…

Nous sommes tous des fichés S en devenir. Nous sommes coupables d’être ce qu’on est.

La sentence a été prononcée un certain 9 juin 2024.  Être musulman en France est déjà un délit. Un français sur deux est prêt à voter pour un parti qui s’apprête à supprimer la double nationalité, à interdire les pratiques religieuses des musulmans (Halal, signes musulmans dans l’espace public).  

Le parti des anciens Nazis n’aura pas volé sa victoire. Le 7 juillet ils prendront le pouvoir démocratiquement par les urnes. Comme Hitler, ils adopteront des lois, tout ce qu’ils veulent comme lois. Ceux qui refuseront ces lois seront des hors-la-loi et seront punis en tant que tels.

Mais la France est un pays de l’ordre. Les français se conformeront au nouveau pouvoir comme ils l’ont appliqué avec les lois anti-juives en 1940.

Il m’a fallu quarante ans pour comprendre comment la France avait abandonné ses juifs aux nazis.

J’ai vu pour la première fois, la peur dans les yeux de ma fille !

Je me sens lâchement trahi. La plus haute des trahisons. Celle d’être trahi par soi-même.

Tout est devenu clair, maintenant !

MBM 17 06 2024

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *